La consultation des oracles en Egypte, du Nouvel Empire à l'époque chrétienne

La tradition des oracles en Egypte est un phénomène inhérent à la pratique religieuse sur la terre de Kemi. Pourtant, elle est très différente des autres coutumes divinatoires qui ont cours dans le monde méditerranéen. Sa spécificité et sa longévité la rendent particulièrement utile pour étudier la religion et la religiosité égyptiennes au cours des millénaires qui composent leur histoire. Rarement une religion a été autant liée avec une pratique divinatoire aussi populaire. Pour définir l'oracle, il faut tout d'abord le différencier de la prophétie. La prophétie peut être analysée comme un acte à l'instigation de la divinité qui "souhaite" transmettre un message aux hommes. Pour cela, elle utilise un prophète. La prophétie est une sorte de prédiction, la révélation d'un futur parfois lointain. L'oracle participe du principe inverse. C'est le fidèle qui souhaite s'adresser à la divinité. C'est de lui que vient l'initiative du contact en quelque sorte. Et là où la prophétie peut avoir un caractère général, l'oracle est d'une portée beaucoup plus réduite et d'un intérêt résolument pratique. L'oracle égyptien est également à différencier de l'oracle grec en ce sens qu'il ne s'agit pas d'un phénomène attaché à un lieu et une divinité unique (comme la Pythie de Delphes) mais qu'il connaît une diversité bien plus grande - tant dans les lieux que dans les divinités invoquées.

L'intérêt premier accordé aux croyances égyptiennes et à leurs manifestations a pu faire croire que ce champ de la connaissance était depuis longtemps épuisé. Il n'en est rien. Jaroslav Cerný, chargé de l'exploitation des textes non littéraires lors du chantier de fouilles à Deir El-Medineh dans les années 1930 et 1940, a mis la main sur une série de tessons de céramique étranges. L'étude et la traduction des signes hiératiques (écriture cursive dérivée hiéroglyphes monumentaux) inscrits sur les ostraca (les tessons de céramique utilisés comme support à l'écriture) a permis de conclure à l'existence de pratiques oraculaires au sein de cette communauté : les ouvriers de Deir el-Médineh en appelaient régulièrement à leur dieu tutélaire pour résoudre des conflits grâce à ses décisions. C'est au moyen des tessons de céramique que les ouvriers s'adressaient à cette divinité. La publication de ce corpus fut permise par le Bulletin de l'Institut Français d'Archéologie Orientale dès 1935 et jusqu'en 1972 .

De nombreuses publications ont permis de développer cet aspect de la recherche. On ne peut éviter de mentionner le travail exceptionnel de Lucia Papini qui propose une liste de tous les billets oraculaires connus de l'époque ptolémaïque et romaine jusqu'au VIIe-VIIIe siècles, et des demandes rédigées en langue copte. De la même manière, un ouvrage a récemment abordé à cette question, non seulement pour l'Egypte, mais également pour toutes les grandes puissances du pourtour de la Méditerranée . Peu de temps après la publication de ce rapport de colloque en 1995, un article de Geneviève Husson et Dominique Valbelle , tente de synthétiser l'état de la recherche sur les questions oraculaires.

Cependant, face à une telle richesse de publications sur ce thème, on ne peut que regretter l'absence d'une grande étude de synthèse qui permettrait de mettre en lumière la complexité et les différentes réalités du phénomène des oracles égyptiens dans la longue durée. La difficulté de réunir des spécialistes des différentes périodes (Nouvel Empire, époques ptolémaïque, romaine et byzantine) n'a pas permis la réalisation d'un ouvrage traitant le phénomène oraculaire dans sa complexité chronologique. Le sujet de notre maîtrise a donc été choisi en ce sens avec l'aide de Melle Anne-Emmanuelle Veïsse. Le corpus sur lequel repose le mémoire est composé d'une part des 95 ostraca édités par Cerný ; d'autre part de 61 papyrus édités au cours du XXe siècle dans des revues spécialisées et des collections de papyrus . Les origines de ces papyrus sont diverses mais la majorité proviennent des nécropoles du Fayoum, grande région agricole de l'Egypte ancienne, où les cartonnages de momies ont fourni une documentation exceptionnelle . Les tessons de céramiques sont datés par Cerný de la XIXe à la XXe dynastie (vers 1300 av. JC) ; le corpus de papyrus comprend quant à lui des documents datés du IIIe / IIe siècle avant JC (pour le plus ancien) au VIe / VIIe siècle (pour le plus récent). Il s'attache essentiellement à des documents démotiques et grecs, et ne comprend pas l'étude des billets coptes pourtant recensés par Lucia Papini .

Au terme d'une année de travail sur le sujet, nous avons pu faire le jour sur certains aspects de la consultation oraculaire. Nous avons étudié notre corpus selon les indications contenues dans le document même. A partir des différents tessons et billets, il a été possible de travailler selon trois axes de recherche : l'identité des dédicants et la nature des motifs invoqués dans le contexte oraculaire ; les dieux appelés à rendre des oracles et la perception qu'en avaient les fidèles ; l'organisation matérielle de la pratique et la place du clergé dans cette procédure.

Dédicants et motifs
Sur certaines pièces du corpus apparaît le nom du dédicant. La forme la plus répandue de texte oraculaire se présente comme-ci : "Au dieu Soknopaios et Amon Soukou(peios), et aux dieux associés. Aphrodisios demande si tu permettras que j'épouse la fille de Sérapiakos. Dis-moi cela" . A partir de tous les noms présents sur les billets et les ostraca oraculaires, il a été possible de dresser une liste des dédicants. A partir de cette liste, plusieurs éléments ont pu être mis en lumière.
La participation aux oracles est, semble-t-il, exclusivement réservées aux indigènes égyptiens durant le Nouvel Empire : dans le corpus de Deir el-Médineh, seuls les Egyptiens ont accès à l'oracle. A partir de l'arrivée des Grecs au IIIe siècle av. JC, nous pouvons constater que le phénomène touche une population plus large. Les Grecs, aussi bien que les Egyptiens, utilisent les oracles indigènes pour résoudre leurs problèmes et leurs conflits. Néanmoins, il faut se montrer prudent quant à l'utilisation de l'onomastique égyptienne de l'époque ptolémaïque : il est très difficile, à la lecture du seul nom, de déterminer l'origine de la personne. De nombreuses unions entre Grecs et Egyptiennes rendent difficile l'identification certaine de l'origine des personnes. Les noms grecs peuvent également être donnés à des Egyptiens aisés qui veulent être assimilés à l'élite. On sait également que les individus peuvent avoir deux identités différentes selon le cadre dans lequel ils évoluent. Une même personne peut être connue par un nom grec et par un nom égyptien, selon qu'il se trouve par exemple en rapport avec l'administration hellénistique ou qu'il offre une stèle votive à un dieu indigène. Il est parfois plus facile de trancher quand le dédicant mentionne le nom de ses ancêtres : "A Soknopaios et Sokonpieios, grands grands dieux, de la part de Stotoétis, fils d'Apyncheos, fils de Tesenouphis : si je serai sauvé de cette maladie qui est en moi : réponds-moi cela" . On peut cependant conclure que la consultation des oracles touche aussi bien les Egyptiens indigènes que les Grecs colonisateurs mais il ne faut pas tomber dans l'excès inverse et s'imaginer une pratique usurpée par la nouvelle élite grecque. Simplement, les conquérants ont trouvé un système religieux efficace et le parallèle avec les oracles rendus par la Pythie de Delphes a pu rendre plus aisée une participation à cette pratique.
Il convient également de relever la place des femmes au sein de notre corpus : la mère de Tausorapis , celle de Phanias , Arsinoé ou la riche Nikè , toutes ces femmes ont un jour eu besoin de rencontrer leur(s) dieu(x) pour lui poser une question ou savoir quelle attitude adopter face à une situation problématique. L'existence de ces femmes dans notre corpus prouve que la pratique oraculaire ne leur était pas interdite. Elles avaient apparemment le droit - aussi bien que les hommes - de poser leurs questions lors des séances oraculaires. Le premier texte dans lequel le dédicant apparaît expressément comme étant une femme est l'un des plus anciens papyrus de notre corpus. L'absence de femmes dans les documents antérieurs à celui-ci n'est pas nécessairement le signe d'une évolution de la pratique, d'abord interdite aux femmes puis peu à peu autorisée au cours des siècles suivants, mais constitue la plus ancienne attestation de leur participation aux oracles.

Pour connaître l'identité et l'origine sociale des dédicants, le seul nom ne suffit pas. Les informations sont trop lacunaires et imprécises pour permettre d'en tirer des éléments conséquents. C'est à ce moment que l'étude des motifs vient à notre secours. Pour des raisons chronologiques, il nous a paru nécessaire de mettre en place deux typologies des motifs : tout d'abord, nous nous sommes attachés à construire une typologie des motifs pour la communauté d'artisans de Deir el-Médineh car on peut considérer ce corpus comme relativement représentatif. Toutes les pièces ont été retrouvées sur le même site et appartiennent à la même période (XIXe - XXe dynastie). Une deuxième typologie a été dressée à partir des billets sur papyrus. De la confrontation de ces deux listes, il nous est apparu plusieurs caractéristiques de l'oracle égyptien :
Pour les artisans de Deir el-Médineh, c'est surtout dans une perspective sociale que l'oracle est utilisé. On s'en sert pour résoudre des affaires de vol et de litiges, régler des questions de propriété et d'appartenance ou justifier de sa journée de travail : "Est-ce que l'on fera que je devienne chef ? " ; "Les gens de l'armée l'ont-il volé (ou : pris) ? " . Les intérêts sont avant tout liés à l'organisation de la communauté qui vivait à l'écart des institutions égyptiennes. L'oracle pouvait être un moyen rapide et peu onéreux de régler les différents conflits qui pouvaient naître parmi les artisans.

L'utilisation des oracles par le reste de l'Egypte montre une certaine différence. Ce ne sont plus les vols ou les questions de propriété qui sont au centre des intérêts mais en majorité des questions portant sur le mariage et les voyages. Ces deux éléments permettent de considérer l'origine sociale des dédicants : le mariage constitue un événement important pour une famille qui a du bien. Il faut pouvoir s'assurer un bon parti et bon nombre de questions tournent autour de cette problématique : "Au très grand et puissant dieu Soknopaios, de la part d'Asklepiadès fils d'Areios. S'il ne m'est pas donné de vivre avec Tepatheus, fille de Marréiès, et est-ce qu'elle ne sera pas la femme d'un autre ? Réponds-moi et réalise pour moi cet écrit. Tapetheus était jadis la femme de Horion, l'an 35 de César, 1 Pachôn" . Plusieurs prétendants semblent ici se disputer un bon parti, peut-être une riche veuve. On voit apparaître aussi le terme de contrat , preuve qu'il s'agit d'un mariage où les deux parties doivent déclarer par écrit leurs biens personnels. De la même manière, la prédominance des questions sur le voyage et la sécurité sur la route montre que les dédicants des pièces à notre disposition ne sont pas des paysans mais plutôt des voyageurs et des commerçants. Bien souvent, les commerçants cherchent à attirer l'attention du dieu sur leur voyage et à garantir ainsi leur sécurité : "De Soknopaios et Amon, à Soukonpieios, grands dieux, Pallous vous invoque. Si tu me permettras de me rendre à Pisaïs, donne-moi cela" . De nombreux autres oracles aux motifs plus rares tendent également à prouver l'origine aisée des dédicants ; il s'agit de questions portant sur un sacrifice ou l'achat d'un esclave : ces activités ne sont pas à la portée de tous.

La consultation des oracles semble être une pratique prisée par les classes moyennes de la société, artisans, commerçants, élite grecque ou hellénisée, plus qu'elle ne serait le reflet d'une superstition de paysans "arriérés". La nature des dieux invoqués et les relations entre le motif et leurs pouvoirs respectifs démontre également un rapport complexe entre les divinités et les hommes.

Les dieux oraculaires
Notre corpus de papyrus est constitué des billets récupérés en grande majorité dans les nécropoles du Fayoum. De fait, ce sont surtout les avatars du dieu-crocodile Sobek qui sont invoqués. Dans cette région marécageuse, les crocodiles très répandus ont incité très tôt les hommes à vénérer un dieu qui serait le maître des sauriens.
La variété des autres dieux invoqués est à l'image du panthéon égyptien : nous retrouvons des oracles destinés à Amon, Isis, Harpebekis, Harpocrate (divinités dérivées d'Horus), et aux Dioscures, à Zeus et à Sérapis. Car même les dieux grecs se sont assimilés à la forme indigène du culte. Les colons ont amené avec eux leurs propres divinités mais ils ont organisé leur culte à l'image du culte indigène. Et l'on remarque qu'il n'y a pas de différence de questions entre celles adressées aux dieux égyptiens et celles adressées aux dieux grecs.

Devant une telle diversité, on peut se demande si les fidèles choisissaient entre plusieurs dieux pour résoudre leurs problèmes. A cette question, deux réponses sont possibles.
Il est des cas où, effectivement, c'est bien le rôle théologique du dieu ou de la déesse qui détermine le choix du dédicant. Pour une maladie, on en appelle ainsi plus facilement à Isis ou à Sérapis , connus pour leur puissance contre les venins et les maux. La seule invocation de Touèris, déesse protectrice des accouchements et de l'enfance, apparaît dans un billet concernant l'avenir d'un enfant .
Mais dans d'autres cas, la nature de la question n'est pas déterminante pour le choix de la divinité. Ainsi, tous les ouvriers de Deir el-Medineh s'adressent à leur patron divinisé Aménophis Ier quelle que soit la nature du problème : vol, litige, sacerdoce… De même, les habitants de Soknopaiou Nesos, où est vénéré Soknopaios (un avatar local de Sobek), invoquent de préférence leur dieu local plutôt que le dieu d'origine au culte très institutionnalisé.
On peut en déduire que la relation qui s'instaure entre les dieux oraculaires et les dédicants est une relation de proximité. La pratique oraculaire entre dans le cadre d'une religiosité personnelle et non pas privée car elle s'exerce au temple et souvent en public. Cette relation quasi personnelle avec les dieux est peut-être à l'origine de la pérennité du phénomène, même après l'interdiction des religions païennes.

Lorsque le christianisme remplace l'ancienne religion polythéiste, la tradition des oracles se maintient. Ce ne sont plus les dieux qui sont alors invoqués mais les saints, en tant qu'intercesseurs auprès du Dieu unique : "O Dieu tout puissant, saint, véritable et miséricordieux, Créateur, Père de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ, révèle-moi la vérité qui est tienne, si ta volonté est que j'aille à Chiout, et si je trouverai ton aide et indulgence. Qu'il en soit ainsi ; Amen" ; "Saint Côme et Saint Damien, si vous ordonnez à […], fils de Gerontios de se laver, [que sorte ce billet]" . Les modalités de la question oraculaire ne semblent pas connaître de bouleversements profonds : le support reste le même (papyrus et, à l'extrême fin du VIIe siècle, un exemplaire sur parchemin), la forme de la question se maintient, le type de motif également. Là aussi, un saint connu pour ses guérisons miraculeuses sera plus souvent invoqué pour des questions médicales : "O Dieu de notre protecteur Saint Philoxène, nous demandes-tu d'emmener Anoup à l'hôpital ? Montre ton pouvoir et laisse cette prière être accomplie" . Notre corpus n'a pas intégré les questions oraculaires rédigées en copte ; l'extension de l'étude à ces billets serait nécessaire pour pouvoir proposer avec plus de précision une comparaison raisonnée des questions oraculaires païennes et des questions oraculaires chrétiennes.

La relation que le dédicant entretient avec les dieux peut être qualifiée de personnelle mais la médiation du clergé n'en est pas moins nécessaire : lui seul est capable de transmettre la question du fidèle au dieu et, le cas échéant, d'interpréter sa réponse.

La séance oraculaire, une institution sous le contrôle du clergé
Le billet oraculaire ne mentionne pas les rites préalables qui accompagnent sa présentation au dieu. Ce n'est pas le texte lui-même qui peut apporter des informations. Pourtant, ces simples morceaux de papyrus ou tessons de céramique recèlent de nombreuses indications qui permettent de comprendre ou du moins d'appréhender le mode de fonctionnement de cette coutume, aussi bien liée au cadre dans lequel elle se pratique qu'au personnel chargé de la mettre en place. La participation du clergé à chaque étape est essentielle.

L'organisation de la consultation oraculaire prend vraisemblablement place au moment des processions de la statue du dieu . Celle-ci, sortie exceptionnellement de son naos, est transportée sur une barque le long d'un itinéraire sacré. Le plus souvent, la procession suit le dromos, voie sacrée qui mène au temple. Le trajet peut être lié à la théologie du dieu et rejoindre le sanctuaire d'un dieu associé. Des étapes sont établies sur le parcours, matérialisées par des reposoirs pour la barque. A chaque pause, les prêtres pratiquent des rituels. L'existence de ces pauses amène à supposer que les demandes oraculaires du peuple - qui venait très nombreux assister à ces réjouissances - avaient lieu à ce moment. La barque est immobile, les prêtres brûlent de l'encens et font des offrandes à l'image du dieu. Les fidèles massés en nombre autour du reposoir de la barque peuvent profiter de la halte pour poser leur question. Cette phase de la procession n'est pas spontanée mais entre dans le cadre du rituel établi et contrôlé par les prêtres. Les questions sur ostraca ou sur papyrus sont déposées au pied de la barque divine et les mouvements de celle-ci ressentis par les porteurs qui déterminent la réponse du dieu. Les questions sont posées de telle manière qu'un simple "oui" ou "non" suffit pour que la réponse soit intelligible. Un mouvement vers l'avant signifierait "oui", un mouvement vers l'arrière, "non". Dans le cas de billets couplés (c'est à dire dont le texte présente deux versions antithétiques d'une même proposition), il suffit à la barque de pencher d'un côté ou de l'autre pour que le fidèle sache quelle version est choisie par le dieu.

La pratique s'étant révélée très populaire, les processions n'ont pas été suffisantes et il a fallu mettre en place un système permettant au dieu de répondre aux questions plus souvent. C'est ainsi que s'est développé le système de l'orale du temple organisé autour de billets couplés. Les deux versions étaient déposées dans le naos du temple et y passaient vraisemblablement la nuit. Le lendemain, la version approuvée pouvait être remise au fidèle par le prêtre. La présence de billets couplés à remettre au prêtre peut être déduite du modèle de formulation du billet : "Untel, si tu es d'accord avec cette proposition, fais sortir ce billet". On pense également que les structures de chapelles adossées à l'arrière des temples pouvaient avoir des fonctions oraculaires .

La mission archéologique qui travaille depuis 1994 à Tebtynis - et plus particulièrement sur le dépotoir près du sanctuaire de Soknebtynis - a mis au jour un corpus inédit de papyrus vraisemblablement issus des archives du temple . 350 papyrus écrits en démotique et en grec ont été retirés des gravats et parmi eux, plus de 250 papyrus oraculaires. La pratique des billets couplés est confirmée par la découverte de plusieurs paires encore unies mais des formes moins traditionnelles de questionnement de la divinité sont apparues. Il peut arriver que trois ou quatre papyrus interviennent dans le cas d'une affaire de vol, par exemple. Le texte des papyrus présentés par une seule personne ne diffère que sur un seul point : le nom des suspects. Dans le cas où plusieurs individus sont soupçonnés d'avoir commis un délit, la victime du vol peut donc amener devant le dieu un nombre de billets équivalent au nombre des individus incriminés.

Sur d'autres billets, en lieu et place de la traditionnelle forme tripartite du billet oraculaire se trouve uniquement la mention d'un objet volé et le nom du suspect. Ou encore, certains billets ne font apparaître que le nom du suspect. Ces textes très courts parlent en faveur d'une rédaction payante, dont le prix varie au prorata de la longueur de la demande. Des documents encore plus significatifs existent dans ce lot. Des individus aux moyens limités peuvent même renoncer au texte écrit : des papyrus roulés et scellés ont été retrouvés vierges de toute écriture. Parfois, un simple trait d'encre ou une croix marquait le papyrus. Ces billets ont été retrouvés avec les autres documents du temple. Bien que non écrits, ils sont cachetés et ficelés comme les autres demandes, ce qui indique qu'il s'agit de demandes d'oracle. Ils apportent la preuve que l'on peut adresser au dieu un doublon de billets composé d'un papyrus vierge et d'un papyrus marqué d'un symbole simple et convenu. Le dédicant accorde à chacun des documents la signification qu'il veut.

Malgré la forme très concise des documents et le peu de renseignements directs qu'ils apportent sur les dédicants, la quantité d'ostraca et billets retrouvés depuis une soixantaine d'années permet de dévoiler un pan entier des pratiques religieuses du peuple égyptien, même aux époques grecque, romaine ou chrétienne. L'élément essentiel de cette analyse reste la perpétuation de la pratique dans les formes qu'elle utilise et la fonction qu'elle maintient au cœur de la société : les motifs invoqués dans les demandes oraculaires sont toujours les mêmes, quelles que soient les époques ou l'identité des dédicants. Cette caractéristique n'est pas liée uniquement à la culture égyptienne puisque les Grecs ont adopté très facilement ce système de communication avec le divin. Ce rapprochement n'est-il dû qu'à la proximité entre les deux religions polythéistes dont l'assimilation de certains dieux est établie par Hérodote dès le Ve siècle avant JC ? La pratique oraculaire a perduré chez les partisans du christianisme naissant qui, en respectant les données théologiques essentielles du monothéisme, ont intégré dans leurs pratiques rituelles les plus essentielles cette particularité héritée des temps païens.

Les oracles n'ont pas fini de servir à de futures études. La recherche a encore de nombreux aspects auxquels s'attacher : comment est née une telle pratique ? quelles en sont les premières et les dernières occurrences ? Un corpus plus conséquent permettrait en outre de vérifier s'il existe une dichotomie entre la ville et la campagne, si les motifs peuvent nous renseigner davantage sur l'origine sociale des dédicants… Il faut espérer que la publication des papyrus de Tebtynis trouvés récemment permettra de compléter grandement les connaissances existantes. Réunir autour de ce thème une équipe interdisciplinaire serait sans doute la clé d'une compréhension plus fine du phénomène de la consultation des oracles.

Michaël Chosson